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Alain Corneau, l’interview (2007)


Vous préparez un remake du « Deuxième souffle » de Melville pour cet automne… Non. C’est une nouvelle adaptation du livre de José Giovanni. C’est pas pareil. Le film de Melville est une pure référence pour moi, un des films noirs les plus importants du cinéma français, sans conteste. Mais j’ai toujours été fasciné par le livre de José Giovanni, il l’a écrit lorsqu’il était encore en taule . J’ai eu la chance d’être très ami avec José. Je lui disais ce serait bien de faire une autre version de son livre… 50 ans plus tard, je pense qu’on peut revenir à un grand texte.

Vous le rencontrez comment Giovanni ? Quand j’ai débuté dans le cinéma, en tant qu’assistant réalisateur [sur « Un aller simple », 1970]. J’ai appris à connaître le bonhomme. J’étais déjà fou de ses livres, du « Deuxième souffle » en particulier. D’autres romans de José ont été adaptés au cinéma : « Classe tous risque », « Le Trou », « Les aventuriers »…

Et Giovanni aimait le film de Melville ? Il avait un rapport ambigu avec ce film. Je me suis souvent fatigué à lui dire que c’était un très grand film… mais José ne s’était pas très bien entendu avec Melville : il était très autoritaire, il ramenait tout à lui : il n’a pas donné de crédit à José… Pour un auteur c’est un peu embêtant. Melville a souvent été comme ça, ça n’empêche pas que c’est un grand metteur en scène.

Sans avoir lu le livre, le film porte l’empreinte de Melville : la narration, le rythme… C’est très proche du livre dans sa narration, contrairement à ce qu’il disait, Melville a suivi le livre d’une manière assez fidèle : les dialogues sont pratiquement tous dans le livre. Melville a apporté sa griffe de metteur en scène faite de stylisation, de signes, l’impression que l’oxygène est raréfié… Maintenant l’univers de José peut être vu de manière complètement différente : si vous voyez le film de Claude Sautet « Classe tous risque » ou même le film de Becker « Le Trou » qui a été réalisé bien avant [1960]… « Le Deuxième Souffle », Melville l’a fait en 1966, Sautet en 1958 avec Lino Ventura déjà ; c’est deux univers complètement différent. José était plus proche de l’univers chaleureux de Sautet. C’est une question de style.

« A chaque génération, il y a des sacrifiés… »

José Giovanni a fini sa carrière à la télé, dans les séries policières. Il a connu quelques malchances au cinéma comme on peut tous en avoir. A ce moment là, il a eu plus de difficultés à faire du cinéma, à la fin de sa vie. Et donc il a fait des téléfilms, qui étaient très bien d’ailleurs.

Avec son expérience, son métier ; comment il l’a vécu ? A chaque génération, il y a des sacrifiés… une génération pousse l’autre. Quant la Nouvelle Vague est arrivée, beaucoup de gens se sont retrouvés au chômage. C’est comme ça.

A la suite de la Nouvelle Vague, les réalisateurs du « néo-polar », dans les 80’s, méprisaient les films avec “Delon et/ou Belmondo“ ; maintenant ça revient en grâce… J’ai lu que Tarantino citait « Du Rififi à Tokyo » de Jacques Deray… C’est l’éternel retour ! Concernant Melville c’est foudroyant : tous les asiatiques parlent de Melville (rires) Johnnie To a carrément, lui, un projet de remake du « Cercle Rouge ». Un vrai remake, le « Cercle Rouge » c’est un scénario original de Melville. John Woo, lui, il annonce toujours des remakes mais il les fait jamais, ça c’est le côté hollywoodien… Vous savez il y a toute une histoire du polar qui est passionnante : en France, il y a eu un moment sublime dans les années 50, 60 ; et un peu méprisé par la Nouvelle Vague, à tort. Seul Melville a surnagé et encore… après ils se sont fâchés avec lui. Après, il y a eu beaucoup de grands films : Jacques Deray, même Molinaro [le même qui a réalisé des épisodes de la série « H » à la fin des années 90]…

« A l’époque «Les Tontons flingueurs» c’était de la merde ! »

Les critiques n’étaient pas tendres à l’époque… Bien sur ! Mais il suffit de les revoir. Soyez libres, voyez les films français sans arrière pensée, vous allez faire de très belles découvertes… Aujourd’hui si vous demandez à un jeune public non cinéphile, le grand polar des années 60 français ? Ils vont dire « Les Tontons Flingueurs ». A l’époque, le film avait eu un gros succès, mais tout le monde avait considéré que c’était de la merde ! Alors méfions nous des jugements, surtout quand il s’agit des films de genre… les films importants sont pas forcément ceux qui ont des médailles : le « Scarface » de Hawks n’a pas eu l’Oscar à l’époque (rires)… et en fait c’était sans doute le plus grand film de l’année.
Dans les années 80, je fais partie d’une génération qui essayait de faire des films différents, on partait filmer en banlieue… C’était un moment différent : on ne pouvait plus faire des films à la Melville. Après y’a eu un trou d’air dans les années 80- 85. D’un seul coup, le polar français n’était plus collectif : là, y’a eu un pépin. Même moi, je me suis arrêté par défaut.

Les années 80, c’est aussi le mélange des genres, polar et comique : les « Ripoux », « Pinot, simple flic »…
C’est ça. Et depuis deux, trois ans, on sent un retour… avec de jeunes réalisateurs comme Olivier Marchal, qui nous a beaucoup aidé avec « 36, Quai des Orfèvres ». Je l’ai appelé Olivier : « Merci ! » (Rires). Aujourd’hui la reconsidération d’un certain nombre de films est normale. Moi ce qui m’intéresse beaucoup c’est de repartir sur des mythologies, sur des postures morales, sur des codes qui n’ont plus cours actuellement… et, à mon avis, c’est une des raisons pour laquelle le polar a moins bien fonctionné… On ne peut pas faire des films policiers en étant uniquement naturaliste et vériste, en faisant uniquement des films écrit par des flics, même si c’est passionnant. Y’a un moment où on ne fait pas rêver. Dans les films noirs, il doit y avoir une destinée, un fatum, il doit y avoir des grands personnages, d’une grande nature… Ces codes là existent dans d’autres films : les films de sabre, dans les films de science fiction ; mais plus dans les polars ! Et c’est complètement anormal.

« A Hong Kong, ils sont déjà à des années-lumière… »

Le « L627 » de Tavernier c’est une illustration de cet écueil, de paraître “réel“… Même moi j’en ai fait un comme ça, « Le Cousin », avec un ex-flic, le scénariste Michel Alexandre… José m’a appelé « Qu’est ce que tu fais là ? C’est d’la merde ! ». Il avait raison d’une certaine manière. D’un seul coup y’avait plus de mythologie, plus de moral, plus rien. Autant faire un documentaire sur les truands…
Et pendant ce temps-là en Asie ? Le polar revient très fort à Hong Kong, en Corée. Ils ont filtrés ses mythologies avec leur culture asiatique : ils en ont fait des images qui, moi, me bouleversent depuis une dizaine d’années. Aujourd’hui il est de bonne guerre d’être influencé par eux, comme ils ont été influencés par nous, et de repartir sur notre culture en admettant la dette qu’on peut avoir par rapport au cinéma asiatique. Regardez le dernier Scorsese : c’est un film de Hong Kong ! Regardez Tarantino, il ne pense qu’aux films de sabre ! Quand vous regardez « The Departed », qui est un très beau film, on pas très loin du scénario d’ »Infernal Affairs », il est vraiment très bien acclimaté à Boston, mais c’est vraiment un hommage aux films de Hong Kong. Si vous allez à Hong Kong … ils en ont déjà fait trois, ils sont déjà à des années-lumière…

Si je comprends, le polar, c’était une envie que vous aviez mise entre parenthèses… Un peu, n’ayant plus la clef. N’ayant plus les codes. Au milieu des années 80, après le « Choix des Armes » je me suis dit « Qu’est ce qu’on fait maintenant ? » Alors du coup j’ai fait autre chose, tout le monde était surpris que je fasse « Tous les matins du monde »… Outre mon intérêt pour la musique, j’ai aussi eu envie de faire ce film parce que je ne voyais plus comment fonctionnait l’univers noir.



Est ce que cette impasse n’est pas aussi dû aux acteurs ? Dans un premier temps, on a eu Belmondo, Delon ; vous, vous avez tourné avec Montand, Depardieu, Dewaere… et puis les 80’s, c’est Richard Berry, Anconina…
Oui ça s’arrête. C’est une nouvelle race où on n’est plus dans un fonctionnement collectif, on cherche une façon de faire. Puis le temps qui passe : ça redevient un objet qu’on pas travaillé depuis longtemps, et deuxièmement on se dit, que graphiquement, y’a une façon de mettre en images qui peut nous être utile.

« Si on osait dire qu’on aimait l’Inspecteur Harry, on se faisait traiter de nazi ! »

Vos influences ? Le cinéma des années 70 new-yorkais… Tous les polars urbains, paranoïaques : « Dirty Harry », « French Connection »… Don Siegel c’est mon maître ! Depuis « Madigan »… en plus la modestie du personnage me parlait beaucoup, le fait qu’il dise « je suis juste un artisan ». Quand « Dirty Harry » est sorti, on était quelques uns avec l’éditeur François Guérif [l’éditeur français de James Ellroy], à ne plus oser dire qu’on aimait le film : on se faisait traiter de nazis ! Don Siegel ne peut pas être nazi ?!! (Rires) Aujourd’hui Eastwood est intouchable… Tant mieux. Tous ces films là, ont très bien vieilli, ils parlent de l’Amérique à un certain moment. Le grand truc du Film noir, c’est qu’il y a toujours trois niveaux de lecture : l’histoire en tant que tel, une radiographie sociale et le destin, le fatum. C’est immuable. Si on enlève un de ces trois niveaux, on est déjà bancal.


Et les séries HBO : « The Wire », les « Sopranos » ? Ca vous parle ? Toutes ces séries américaines, par le cadre interposé, ont inventé un nouveau style de narration, que le cinéma ne suit que maintenant. Donc y’a eu une avancée par ses films là qui a été très importante. Ma série préférée c’est les Sopranos, a cause du personnage de [james] Gandolfini, qui est très complexe et en même temps très simple, ça relève de la culture américaine pure, c’est très parlant et extrêmement réussi.

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