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Just Blaze, l’interview (2008)


98, l’attaque des Nerds
Depuis 1984, Rock Box et l’adjectif new school collé à Run DMC, le rap connait la nostalgie et les discours relous qui vont avec, « c’était bien mieux avant », etc. Et puis le temps passe, rien ne change, tout empire, les jeunes deviennent chiants comme leurs parents et les disques du début de la fin rejoignent ceux de la belle époque.
Certains auront du mal à garder le smile après 1998, l’année où, coup sur coup, A Tribe Called Quest pète le moteur, le Wu-Tang descend du mont sacré, Pete Rock sort seul Soul Survivor, et Gangstarr met tout le monde d’accord avec Moment of Truth. Peu importe la vitesse, la trajectoire, c’est l’heure du dernier acte et les héros 90’s vont tous buter sur un truc dur et sans appel : une décennie qui s’achève deux ans trop tôt.
Tout le monde descend et les compteurs repassent à zéro. RZA prend le soleil à LA, Erick Sermon à Atlanta, tous ceux qui ont un peu de fric le claquent à Miami, et Biggie mange des frites au paradis. Les Neptunes débarquent, Timbaland lance Missy et Just Blaze signe ses toutes premières prods, underground comme Kanye West, qui n’a pas encore de cicatrice et qui n’ose pas taper de gros caprices en dehors de la salle à manger de chez sa mère.
Le sticker « parental advisory » cède sa place au « produit par… » et les gros chèques portent bientôt tous le nom de ces types-là, les MTV kids : une génération de nerds qui aiment le Hip Hop comme on aime Stars Wars, et pour qui le premier contact s’est fait à la caisse du Best Buy du coin. Autour d’eux il n’y a plus de crew, plus de quartier. Plus besoin de la « satisfaction from the street crowd reaction ». Juste d’un manager et d’un avocat à 300 $ de l’heure.

Quand on est dans la scène new-yorkaise, ça change quoi d’avoir grandi dans le New Jersey ? On avait accès à la même musique et aux mêmes radios : 98.7, 108.5, Hot 103 et le Late Night Show de Stretch [Armstrong] et Bobbito [Garcia]… On a grandi en écoutant la même chose que les kids de NYC, et puis il y avait des artistes du New Jersey qui marchaient pas mal : Redman, Lords Of The Underground, Queen Latifah… Des gens qui venaient de coins assez proches de chez moi avaient du succès, donc dans un coin de ma tête, je me disais que moi aussi je pouvais y arriver. Mais en même temps, fallait bien se rendre compte que tous ces gens s’étaient imposés grâce au parrainage d’une grande figure new-yorkaise : Les Lords avec Marley Marl, Redman avec EPMD, Latifah avec les Native Tongues… La plupart venaient de Jersey City [la capital de l’Etat] et n’étaient pas arrivés en mode autonome, à part les Artifacts [Tame One est le cousin de Redman]. Ensuite les groupes du New Jersey ont disparu un moment, et on a cru voir un comeback de cette scène avec Joe Budden, mais malheureusement, Def Jam a mal géré cette situation, ça n’a pas marché et il s’est barré.

Tu as produit pour lui à ce moment-là. Vous vous connaissiez déjà ? Non, je l’avais jamais vu avant qu’il signe chez Def Jam. Il est de Jersey et moi de Patterson. C’est qu’à 20 minutes de route de chez moi, mais ces deux villes n’ont rien à voir, c’est très différent comme ambiance. Tim Thomas -le basketteur- vient aussi de Patterson, mais à part lui, personne de connu ne vient de là-bas…

Le producteur K-Def vient de Passaic, tu l’as peut-être croisé, lui… Passaic c’est juste à côté de Patterson, mais quand j’étais petit, c’était la baston permanente entre nos deux villes. Ca s’est calmé depuis, mais à l’époque, les gangs de chaque ville se faisaient la guerre, Passaic et Patterson étaient deux villes ennemies. Je n’ai jamais rencontré K-Def en personne, on a seulement discuté une ou deux fois par email -quelqu’un lui avait filé mon contact-, c’est un type cool… Quand j’étais petit c’était un de mes modèles, j’étais fan du groupe qu’il avait avec Larry-O, Real Live, mais je ne savais même pas qu’il était de Passaic, j’ai appris ça il y a à peine deux ans !

La différence entre toi et les types des années 90, c’est que tu es arrivé sans crew, sans rappeur : juste tout seul. Ouais, pas de groupe, rien du tout. J’ai emménagé à New York avec 40 dollars en poche, véridique. J’avais 40 dollars à mon nom et je me demandais comment faire pour arriver à percer. Bon : finalement, j’y suis arrivé, mais c’est une longue histoire… disons c’est un de ces moments où tu es sur le point de tout abandonner, quand ce que tu cherchais depuis des années finit enfin par arriver. J’allais quitter New York pour de bon quand le téléphone a sonné… Et puis, même, quand les bonnes opportunités finissent par arriver, il faut les exploiter à fond, garder le rythme et continuer à pousser pour en trouver de nouvelles, parce que tout peut retomber et revenir à zéro. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus facile de trouver des opportunités, grâce à Internet. Mais la grande question, c’est pas de trouver une opportunité, c’est de savoir quoi en faire : est-ce que tu ramasses la balle pour te mettre à courir avec ? Ou est-ce que tu la prends et restes sans bouger ? La plupart du temps, les gens laissent passer la balle, ou ne savent pas quoi en faire… ou alors ils sont mal entourés et l’action finit par foirer. Heureusement, j’étais déjà un bon entourage à l’époque, et je savais quoi faire de la balle quand je l’aurais.

Quand tu parles d’abandonner, tu pensais t’orienter vers quoi ? Retourner à l’école ! Ce qui s’est passé, c’est que j’ai eu l’opportunité de faire un stage d’un an dans un grand studio [le Cutting Room]. Je me suis dit OK, on verra ce que ça donne. Deux années ont passées, puis trois, et rien de bien important ne m’était arrivé, donc je me suis dit qu’il fallait peut-être mieux retourner à la fac pour valider mon diplôme. Je voulais pas arrêter la musique, mais il me restait qu’une année à faire quand j’ai quitté la fac. Je voulais faire mon année et ensuite réfléchir à un nouveau plan pour percer.

Il paraît que les Hitmen [l’équipe de producteurs de Bad Boy Records] venaient souvent au studio où tu bossais. Oui, je voyais souvent Chucky Thompson, Nashiem [Mirrick] et D-Dot. Je ne peux pas dire que je les ai connus, qu’on est devenus potes, mais j’ai eu la chance de les voir travailler. Il y avait aussi Mayheim, qui était A&R chez Penalty Records à l’époque où ils préparaient le premier album de NORE. On a fait connaissance, et c’est aussi à ce moment-là que je suis devenu pote avec Matt Fingaz. Grâce à mon amitié avec eux, j’ai eu l’opportunité de produire deux ou trois disques, avec Half-A-Mil, avec Ma$e. Et c’est là que ma carrière a vraiment commencé.

La première fois que j’ai vu ton nom, c’était en 1998, sur la compile New York State of Rhyme, tu avais produit un morceau pour FT [des Street Smartz] et Ava. (Surpris) C’est quoi cette compilation ? J’ai produit quel morceau ?

Le morceau s’appelle F-Ava. La pochette de la compile était verte. Je vois ! Ca doit être sur le label de Matt Fingaz… En fait, je n’ai jamais eu cette compil’ dans les mains, je ne l’ai même jamais vu, mais je crois bien que c’est une compil’ réalisé par mon ami Matt, ça ressemble à quelque chose qu’il aurait sorti sur son label. Y avait qui d’autre sur ce disque ?

Consequence, Shawn J Period, Mike Zoot, Mood… Ah, OK : tous les mecs qui gravitaient autour de Matt, à l’époque… Matt et moi on a fait un paquet de morceaux ensemble, je me rappelle même pas du morceau fait avec FT et Ava vu qu’on en a fait plein avec eux, mais… Ah si ! C’est marrant : celui-là, je l’ai entendu pour la première fois la semaine dernière, quelqu’un me l’a envoyé par e-mail. Je l’ai fait et je ne l’avais jamais entendu depuis… C’est marrant de voir comment le temps passe et combien le son a changé : dans mon souvenir c’est comme si c’était hier, alors que ça fait déjà 10 ans… C’est dingue… J’ai déjà de la chance d’avoir pu durer 10 ans dans ce biz, beaucoup de gens n’ont pas eu cette chance. La plupart du temps, c’est deux-trois ans et tu dégages.

C’est marrant que tu n’aies jamais vu ce disque. Ca se passait comment : tu faisais un beat et Matt le refilait à tel ou tel rappeur ? Non, Matt et moi on faisait des morceaux sans arrêt, et… par exemple, si j’avais un problème pour payer mon loyer, je l’appelais « Yo le loyer arrive, j’ai besoin de 500 dollars, t’as besoin d’un beat ? » Alors on se donnait rendez-vous devant un distributeur de billets, il me filait 500 dollars, je lui passais le beat et on allait retrouver les rappeurs et faire le morceau ensemble. La plupart du temps, j’en entendais plus trop parler après coup. On a fait tellement de morceaux de cette façon que je suis incapable de me rappeler lequel est lequel. La plupart ne sont jamais sortis.

Dans ton esprit, comment s’est fait la transition du stade de “Hip Hop Nerd“ à celui de taulier du Rap game ? J’ai toujours été fan, j’ai grandi là-dessus, et c’est vrai que c’est marrant de rencontrer des gens comme RZA, Marley Marl, Erick Sermon ou Pete Rock, qui aujourd’hui sont fans de moi, qui me respectent. C’est un bon feeling, parce que sans eux, je ne serais pas en train de faire ça aujourd’hui. Rien que de les rencontrer, c’est mortel ! Un jour j’étais dans l’avion avec RZA, de retour de Los Angeles, mais je ne savais pas qu’il était là : il assis devant moi et je ne l’avais pas vu. C’est lui qui s’est levé et qui m’a reconnu ! Il est venu me voir et il était visiblement excité, il voulait qu’on fasse un morceau ensemble, je lui ai dit « c’est dingue, c’est toi qui m’a m’a donné envie de faire des disques à la base »…

D’ailleurs toi aussi tu es dans les arts martiaux, il paraît. Je fais du Pa Kua. C’est une forme de kung-fu qui est venue de Chine en passant par l’Amérique latine. Ca vient d’un maître qui a étudié en Chine et qui s’est installé en Argentine. Ce sont ses étudiants qui ont amené cet art aux Etats-Unis. Je ne me rappelle plus de son nom, mais il vient juste de mourir, il y a un mois.

D’où vient cette passion ? Grandir dans les années 80, c’est grandir avec des films de ninja, Chuck Norris, Sho Kasuge… à l’époque, tous les kids voulaient devenir des ninjas, ça vient avec le territoire…

Les gens de la génération de RZA ont plutôt connu les films de Kung Fu traditionnels, les productions de la Shaw… On a connu ça nous aussi : la Shaw Brothers, le format Shawscope, Les films sur les Shaolins, le Wu-Tang…

Et les vieux Jackie Chan ? On ne l’a pas vraiment connu avant les 90’s, le cinéma contemporain de Hong Kong était très peu distribué aux USA avant 1995… Ce qui marchait fort quand j’étais gosse, c’était la série Cannon Ninja : La revanche des ninjas, Enter The Ninja, Pray for Death, et les films de la Shaw…

T’as vu le film de Jarmusch avec la bande-son de RZA ? Ghost Dog ? Ouais, j’ai le DVD… j’ai bien aimé mais la fin m’a foutu les boules : je trouvais nul le fait que Forrest Whitaker laisse le vieux mec le tuer, ça c’était wack… Mais à part ça, c’était un bon film.

T’aimerais faire des bandes-son ? J’ai déjà fait ça pour des pubs, pour des vieux vidéo et aussi pour deux films.

Lesquels ? J’ai scoré quelques scènes de Volcano High, un film de Kung Fu que MTV a importé aux Etats-Unis… J’aimerais beaucoup faire plus de travaux de ce type, c’est super stimulant artistiquement, très différent de ce que je fais d’habitude. Au lieu de rester assis à faire des beats, je dois essayer de dynamiser des émotions, jouer avec ce qui se passe à l’écran : c’est un bon challenge pour moi. D’autant plus que je ne ressens plus aucun challenge à produire des disques, j’ai fait ça tellement longtemps… Je suis conscient de la chance que j’ai d’avoir une longue carrière, mais au bout d’un moment, t’as forcément envie de tenter d’autres champs d’activité.

A une époque, c’était le gros challenge : Mayfield a fait Superfly, Hayes a fait Shaft… Exactement. Mais le scoring m’intéresse au delà des films, faire ça pour la publicité c’est super intéressant aussi : j’ai pas mal bossé avec Nike, EA Sports, Midway… Et pour être honnête, ça paye super bien, bien mieux que le Rap…

J’ai vu le making-of de la pub Nike avec Juelz Santana : c’était incroyable, j’avais jamais autant vu de chinois en studio pour un morceau Hip Hop ! (Rires) Ah ouais… Mais tu sais, les meilleurs musiciens de classique sont asiatiques pour la plupart. Quand tu viens au monde là-bas, ils te mettent un violon dans les mains, ou un piano, quelque chose… C’est la cas de tous les musiciens que je connais, leurs parents leur ont fait prendre des cours très jeune… Même si ce n’est pas sensé devenir ton métier, tu vas travailler ce talent. C’est dans leur culture, ce qui est une bonne chose, on ne retrouve pas ça aux Etats-Unis. J’ai remarqué que les américains n’encouragent pas les gosses à developper leur talent, en tout cas pas autant que dans certains pays. Ici on te dit d’aller faire des sous à l’usine ou au McDo, on s’en fout de te pousser à exprimer un talent. C’est dommage, il faut faire ça quand t’es jeune, sinon c’est foutu. Enfin, pas foutu, mais c’est dur d’apprendre le violon à 35 ans.

Et toi, t’as reçu une formation musicale étant jeune ? Non. Mon père jouait du synthé. Il ne m’a jamais enseigné mais j’ai plus ou moins appris en le regardant faire.

Tu aurais appris à jouer de la batterie dans tes rêves ?(Sourire) Ouais, j’en ai rêvé et le jour suivant je jouais… C’est vraiment arrivé et je ne sais vraiment pas comment je me suis débrouillé… Je ne suis pas super fort, mais je peux jouer pas trop mal, plutôt bien même, pour quelqu’un qui n’avait jamais joué avant. J’ai fait ce rêve quand j’avais 29 ans, et je n’avais jamais touché une batterie. J’ai joué sur quelques disques, dont Show Me Watcha Got, mais franchement, je ne sais pas si je pourrais en vrai, sur scène… en fait, si ! Ca m’est arrivé une fois, on m’y a obligé ! C’était dans une boîte, à Detroit. Il y avait un groupe live qui jouait avec un deejay. Je marchais sur le bord de la scène, le batteur s’est levé, il m’a filé les baguettes et il s’est barré ! Et là les spotlights se sont braqués sur moi, j’avais l’air con (rires) :
« – Hé, je ne sais pas jouer moi ! 
– Si si, on t’a vu sur youtube ! » (Rires)
– Oui, mais je ne sais pas jouer à ce point-là ! 
– Mais si. Je vais fumer une clope, tu me remplaces. »
Et le mec s’est barré. Je n’avais pas le choix : j’ai joué. Pas trop mal, à ce qu’on m’a dit.

Il paraît que Jay-Z t’as repéré le jour où t’as bouclé une instru entière pendant qu’il posait un titre en studio – c’est à dire très vite. Oui, c’est comme ça que j’ai fait Stick To The Script sur l’album Dynasty. Fallait prouver que je mérite d’être là. Je me suis dis que si je faisais un nouveau beat à chaque fois qu’il tournait le dos, il verrait que j’ai toujours du neuf à proposer et il voudrait rouler avec moi.

Quelle a été sa réaction quand il a entendu le beat ? Il était très surpris. Il refusait de croire que j’avais fait ce beat en 5 minutes, il croyait que j’étais venu avec… A partir de là il m’a gardé sous le coude pendant les dix années suivantes, donc on peut dire que j’ai prouvé un truc ce jour-là (sourire).

Quels sont vos rapports ? On ne traîne pas ensemble, on se capte de temps en temps, quand il se met à bosser. Eventuellement il m’appelle ou il m’envoie un email quand il a une idée ou un concept particulier pour une chanson. Après on se fait des échanges, on précise le truc, jusqu’au jour où on tombe d’accord pour se poser en studio. On a une relation solide de ce point de vue là, mais je ne vais passer le week-end dans les Hamptons avec lui. Personnellement, je n’ai même pas assez de fric pour louer une maison là-bas, contrairement à lui, donc ça limite les possibilités de se côtoyer. A part ça on s’entend bien, c’est cool entre nous.

A partir de Dynasty jusqu’au Black Album, c’est toi le préposé aux interludes et aux intros.
Maintenant je m’en fous des singles. C’est sympa d’en sortir, mais quand t’arrives à faire de supers chansons d’albums, c’est toi qui fournit véritablement la chair de l’album. La plupart des singles sortent et disparaissent, alors que des chansons comme PSA, You Don’t Know, ou December 4th sont encore dans les discussions des fans jusqu’à ce jour. Je préfère avoir fait des titres intemporels comme ceux-là plutôt qu’un titre qui va saturer les radios pendant deux mois et que tu n’entendras ensuite plus jamais.

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